42,195km

Telle n’est pas la distance de mon dernier cross ou de ma dernière manche de compétition. C’est une distance mythique, celle du marathon. Mais quel est donc le rapport entre athlétisme et parapente, deux disciplines dans lesquelles la préparation physique est bien souvent inversement proportionnelle à la consommation de breuvages alcoolisés, dans des proportions diamétralement inversées bien entendu? Aucune, vous rentrez dans le domaine du défi personnel. Et forcément, la longueur du billet est à la dimension de l’épreuve.

Fin juillet, de retour de Serbie, je me suis lancé avec 2 collègues de bureau sur un objectif qui me semblait aussi flou que fou: préparer un marathon. Car l’idée était bien centrée sur la préparation avec un planning sur 3 mois, plus que la participation. Je me suis finalement inscrit un mois avant l’épreuve, lorsque je me suis senti prêt mentalement et physiquement. Mon choix s’est porté sur le marathon de Reims, le plus proche, le plus pratique, le plus roulant, le plus ancien, après avoir longuement hésité avec Vannes, Poses ou même Amsterdam.

Préparation

Les 3 mois de préparation sont construits sur la base d’un objectif à 3h30 avec 4 sorties par semaine, donc 3 jours de repos. Un des plus grands enseignements de cette préparation a été l’importance des jours de repos! Auparavant, je me forçais parfois à sortir tous les jours lorsque je voulais me constituer un fond de physique. Et bien j’avais grandement tord, je ne faisais que me fatiguer un peu plus.

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Bon, le plus grand enseignement a tout de même été l’efficacité de ce genre de préparation, laquelle se décompose en deux grandes parties:

  • Une première moitié avec des sorties axées vitesse et VMA.
  • Une deuxième moitié avec des sorties axées résistance et seuil.
  • Avec en continu une sortie hebdomadaire longue, de plus en plus longue, jusqu’à un maximum de 30km en 2h30, 2 semaines avant la course.

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Je n’ai pas particulièrement soigné la diététique lors de cette préparation. J’ai tout de même perdu 1kg sur le premier mois, puis un autre dans les 2 mois suivants, certainement en échangeant un peu de graisse inutile contre du muscle plus pesant.

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Les 2 dernières semaines ont été particulièrement compliquées pour moi à tout point de vue, rien n’a été facile ou donné. Après 45 heures de préparation en autant de sorties pour couvrir 500 kilomètres, en dépit de la dette de sommeil accumulée, je règle mon réveil sur 6h30 le dimanche 20 octobre afin de prendre un bon petit-déjeuner et d’avoir 2h de digestion avant le départ de la course.

Course

Belle ambiance dans le sas de départ, nous nous tassons de plus en plus jusqu’au coup de sifflet qui libère les gazelles. Au passage de l’arche de chronométrage, je me cale dans le sillage d’un tee-shirt « 100km de Millau » qui a l’air de pas mal aller, mais au premier virage il prend tout droit, se redresse devant un arbre et l’arrose de son engrais liquide. Je le reverrai me passer à toc 10km plus loin, puis je le repasserai définitivement 20km encore plus loin. Difficile de caler son rythme dans les premiers kilomètres. Il y a tellement de monde, avec tellement d’objectifs et de capacités différents, un départ confondu pour toutes les distances de course (10km, semi et marathon). Alors je suis des tee-shirts violets de Sedan, puis pendant une bonne dizaine de bornes un tee-shirt bleu Axa-SL qui a le rythme parfait pour moi.

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Mais je continue de me faire doubler à haute dose, pourtant je suis parti dans le bon sas, pourtant je suis juste devant le meneur d’allure à 3h30, pourtant je suis un peu plus rapide que le tempo que je m’étais fixé. Exception notable: dès que je vois un de ces tee-shirts orange délavé siglés Karlsruhe, je double, allez comprendre. Mais je comprends tout au km 16: la route du semi part à droite, celle du marathon à gauche. Et pour 4 ou 5 coureurs qui filent à droite, 1 seul va cultiver sa solitude à gauche. Je suis calé derrière une paire de chaussettes blanches, un peu devant moi, et enfin j’arrête de me faire doubler. Je rencontre un tee-shirt jaune, on tape la discute, puis un black et un tee-shirt blanc. Notre groupe est constitué, la cadence est prise.

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Negative split

Le flux s’inverse, à notre tour de doubler. Vers le km 25 la famille de notre camarade de couleur l’attend: il s’arrête, embrasse ses enfants puis repart boosté. Il nous rattrape puis nous double un peu plus loin et nous ne le reverrons plus. Vient alors le km 35: mes camarades sont dans le dur depuis 3 ou 4 km, j’ai l’impression de bien aller. S’invite à cet instant une averse, au pire moment, celui où l’épuisement des réserves en glycogène rend l’effort difficile et la régulation en température du corps défaillante. J’ai l’impression d’avoir l’épiderme de tout mon corps congelé, comme une couche de 5mm de peau glacée sur tous mes muscles. Ma vision rétrécit, mon cerveau aussi, continuer, ne pas s’arrêter, ne pas faire comme ces gars étendus dans l’herbe ou arc-boutés contre des arbres pour étirer leurs muscles tétanisés, regarder avec toute ma concentration ce morceau de bitume 1m devant mon pied, absorber les encouragements de spectateurs que je ne vois plus. J’avais 5 minutes d’avance sur mon plan de marche, gérer la consommation de cette avance, tant pis pour les moins de 5 minutes au kilomètre sur la fin du parcours, tant pis pour les 3h25, résister pour ne pas passer au-dessus des 6 et atteindre l’objectif des 3h30.

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Après 5 km de douche groenlandaise, la pluie cesse, un rayon de soleil revient, le dernier ravitaillement du km 40 me tend les bras. Je n’arrive pas à saisir au vol deux quartiers d’orange. Je m’arrête 3 secondes pour en attraper 2 autres, mes jambes respirent de nouveau, je repars. Jusque là j’avais géré mon alimentation en autonomie à raison d’une barre Gerblé par heure de course, sans m’arrêter, attrapant parfois une bouteille d’eau au passage pour en prendre une gorgée avant de la jeter dans une poubelle sur le bord de la route. Mais là, j’en avais oublié la 4ème et dernière barre que je gardais en réserve. Heureusement que mon ange gardien me rappelle à l’ordre, la demi-barre ingurgitée à cet instant me donnera l’énergie nécessaire pour les 2 derniers kilomètres, malgré les chaussures lourdes et trempées, immergé dans l’ambiance délirante de la dernière ligne droite, avec cette aspiration incroyable qu’exerce la ligne sur le coureur, quelle que soit sa discipline.

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Délivrance

Après 18.900 foulées non-stop je passe la ligne d’arrivée et laisse l’extase m’envahir. Je marche doucement, respire, m’arrête enfin et longuement devant une table de ravitaillement, récupère ma médaille, peine à gravir la marche qui me sépare d’un comptoir où m’attend une boisson chaude, vais tranquillement prendre une douche à la douce chaleur. Puis je claudique dans l’escalier d’un resto pour me poser sur une terrasse, avec une pensée pour ceux qui courent encore, un plat du jour s’il vous plait, et commande le champagne du vainqueur (c’est mon côté parapentiste qui remonte à la surface). Comme me le disait un de mes camarades de course au km 26, lorsque je lui ai fait remarquer que les premiers devaient arriver: « tant mieux pour eux, à chacun sa course, à chacun sa performance, allons au bout ». Il n’y a que des vainqueurs à l’arrivée d’un marathon.

J’ai vécu une expérience formidable. Pendant la préparation, pendant la course. Et même après, maintenant. Un essai transformé sur la première action. J’en ressors sans blessure, sans traumatisme, sinon un pli de l’aine un peu irrité et un syndrome de soutien-gorge sous les aisselles. Avant de me projeter vers de nouveaux objectifs et projets je vais déjà prendre un peu de repos, à commencer par un semaine d’arrêt complet. Autant de sensations nouvelles, il faut que je m’habitue!