Le risque calculé dans le défi sportif

Nous avons passé les 100 réponses au sondage, merci à tous ceux qui ont contribué, je vais le dépouiller ce week-end. En attendant les résultats je vous propose des extraits d’un article qui date d’une dizaine d’années. Son auteur est Luc Collard et son titre est « Le risque calculé dans le défi sportif ». Je m’en suis largement inspiré pour créer le sondage en adaptant le vocabulaire et en substituant la notion « d’encadrement » à celle « d’interaction motrice » .

Je vous donne tout de suite mes deux premières conclusions à l’issue de sa lecture:

  • Les pratiquants ne partagent pas la même vision que les néophytes, les compétiteurs ne peuvent pas se comprendre avec les élus. Rien d’étonnant à ce que les premiers parlent de comportement des pilotes et que les seconds focalisent sur le matériel.
  • Nous devons éviter les confrontations directes en compétition pour limiter les prises de risque, donc vivent les AAT (assigned area tasks), les temps mini et les manches libres.

Introduction – L’amour du défi?

Comment l’ordre social, habituellement fondé sur la prévoyance et le calcul, l’intériorisation de contraintes, peut-il en même temps supporter que des individus se lancent à corps perdu dans certaines entreprises dramatiques ? C’est peut-être que ces dernières ne sont pas nécessairement une marque d’impulsivité ou d’irrationalité, y compris quand le risque encouru paraît dépourvu de contrepartie. L’analyse des traits caractéristiques des risques sportifs et des représentations qu’en ont les pratiquants ira dans ce sens en dévoilant que l’univers sportif n’est pas le lieu du risque pour le risque, posé comme une fin en soi, célébration de l’amour du défi, mais que l’on peut plutôt considérer l’action des sportifs comme un risque habilement calculé.

Le hasard et le vertige

Une troisième catégorie de jeux sportifs rassemble les jeux à information incomplète. L’introduction de points aveugles dans l’information limite les pratiquants dans leur connaissance des possibilités de choix, des diverses issues du jeu ou dans les gains qui leur sont associés. … Les joueurs misent leur réussite future sur ce que laissent transparaître les instants à venir. … C’est la sauvagerie du milieu qui sollicite intensément l’équilibre des participants. Le vertige est le dénominateur commun des activités physiques de pleine nature et il est renforcé par l’utilisation d’agents de « locomotricité » externe : voile, parachute, surf, skis, roues, etc.

Déjouer le sort ou s’en remettre au destin

En interrogeant 358 étudiants sportifs sur les facteurs qui – selon eux – sont responsables des accidents corporels en sport, nous pensions initialement repérer des réponses différentielles selon les spécialités investies. Issus d’entretiens préliminaires, huit critères accidentogènes leur étaient proposés : le « challenge » …; « l’émotivité » …; les « engins » …; l’ « inattention » …; l’ « inexpérience » …; l’ « interaction » motrice …; le « milieu » d’accomplissement …; et enfin la « préparation physique » … Exactement 202 étudiants « non sportifs » nous ont servi de groupe-témoin pour voir si les réponses des sportifs – étonnantes à nos yeux – n’étaient que l’expression du sens commun.

De fait, lorsqu’on demande de nommer les facteurs de risques corporels, les sportifs ne se réfugient pas derrière les traits de la situation générateurs de hasard – milieu, engin et interaction – mais évoquent en premières places leur propre responsabilité – inattention, préparation physique et inexpérience. … les sportifs ne s’en remettent pas au destin, mais témoignent de leurs capacités à déjouer le sort. … Ils se sentent responsables des accidents et assument le risque encouru. … Il en va différemment des non-sportifs. Cette fois-ci, « engin », « milieu » et « interaction » occupent les quatre premiers rangs. Ils reconnaissent les facteurs de hasard inhérents aux systèmes de jeu comme premiers vecteurs des accidents potentiels. Plus hésitants sur le sujet, ils n’assument pas avec autant de confiance la paternité du péril probable. … Contrairement aux idées reçues, les sportifs n’envisagent pas les risques physiques comme le résultat d’un abandon délicieux au milieu, mais plutôt comme la conséquence d’un manque de préparation et de contrôle qu’ils comptent bien enrayer. Et si, d’aventure, il leur arrive d’apprécier le vertige, il ne peut s’agir que d’un vertige maîtrisé.

Enjeux et goût du risque

L’enjeu corporel a droit de cité dans les sports et quasi-jeux de pleine nature utilisant la haute technologie comme le motocross, le deltaplane, le parachutisme ou la plongée sous-marine. … Si les pratiquants interrogés ont manifesté d’un bloc leur prise de responsabilité face aux dangers physiques, ont-ils pour autant des goûts pour le risque semblables selon que l’enjeu de leur spécialité sportive est corporel et/ou compétitif ? Les spécialistes de sports à risque manifestent-ils une passion exacerbée pour le danger comme on peut l’entendre et le lire ici ou là ? C’est ce qui nous a poussé à interroger plus spécifiquement des motards et des plongeurs. Avec le même questionnaire, nous avons estimé le goût du risque de joueurs de tennis et de gymnastes. … Le plan factoriel laisse apparaître trois pôles. Un premier se détache sur le premier facteur formé exclusivement des plongeurs. Contre toute attente, ils ne manifestent aucun intérêt pour les prises de risque. Conscients que leur intégrité corporelle est en jeu, ils témoignent plutôt d’un goût appuyé pour les prises de sécurité. Aucune audace délibérée annoncent-ils, car le jeu n’en vaut pas la chandelle, il y a tout à perdre et rien à gagner. … Par opposition, les motards, pourtant également acteurs de jeux sportifs dangereux, apprécient les prises de risque délibérées; mais c’est qu’ils n’ont d’yeux que pour l’enjeu et le prix compétitifs.

… La faculté relevée par les plongeurs et les gymnastes qui se montrent suffisamment intelligents pour mesurer les risques qu’ils prennent sans pour autant que cette appréhension ne les trouble ou ne les démoralise semble se trouver dépassée dès lors que les interactants se disputent un enjeu compétitif en simultané – comme les motards et les joueurs de tennis. … Pour qu’un joueur parte à profit à l’assaut d’une situation sans tenir compte de sa dangerosité, il faut qu’un enjeu compétitif soit à défendre et que les autres joueurs donnent simultanément la réplique – cas des motards. En absence d’adversaire direct, la reconnaissance active de l’enjeu corporel et la capacité des acteurs à montrer qu’ils accomplissent leur « forfait » avec minutie, sans céder aux tentations irréfléchies, est ici l’occasion d’endosser certains traits de la force de caractère: le cran, l’intégrité et le sang-froid – cas des plongeurs.

Conclusion

Ce n’est que dans la chaleur de l’action, lorsqu’ils travaillent sans filet, que les joueurs peuvent exprimer un caractère fort et défendre ainsi les valeurs morales pour lesquelles on les autorise à se risquer. … C’est en cela que l’on peut avancer l’idée que l’attitude des sportifs face au danger n’est pas une marque d’impulsivité et d’irrationalité, et que le risque encouru est un risque calculé.

2 réflexions sur « Le risque calculé dans le défi sportif »

  1. la classe maxime pour ta démarche.
    tu nous permet en plus d’avoir accès à des docs dont j’ignorais l’existence. je suis assez avide de ce genre de lecture. merci.

  2. Salut max,
    Toujours intéressant tes articles… Fais gaffe tout de même, certains bien pensants vont s’en inspirer… pas toujours de la bonne manière… C’est ce que certains appellent la génération "Power point" … Je pense plutôt à la génération du "copier/coller"…
    Si je t’assure, ici c’est le cas !!!
    PS : j’ai perdu ton adresse de messagerie

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