Je TEM moi non plus, car Reason n’est pas raison

4 années se sont écoulées depuis mon dernier billet sur la mesure des taux individuels d’accidentalité. 5 années depuis un billet sur le risque et l’incertitude. 6 années depuis un autre billet sur le Competence Based Training qui a fait son chemin depuis dans notre milieu. J’ai l’impression que chaque année qui passe fait qu’un numéro de plus dans mon répertoire téléphonique ne répond plus. Une manière détournée de dire que des connaissances meurent de notre sport, régulièrement, inéluctablement.

Le deuil comme la conduite du changement s’organisent en général selon les mêmes phases, plus ou moins longues. Sidération et incompréhension pour commencer, déni accompagné rapidement de colère, puis début de prise de conscience et tristesse. J’ai l’impression d’être en boucle sur ces étapes, que nous sommes collectivement en boucle.

Nous ne passons pas à l’acceptation et à la remédiation. Parce que nous ne savons pas quoi faire, en pratique. L’impression que tout a été essayé, que rien n’a été essayé, que la fatalité domine. C’est dur, nous sommes dans le dur, pour les plus lucides et peut-être les plus vieux d’entre nous. Plus tu as des années de pratique, plus tu as perdu des amis dans le milieu.

Alors je ressens le besoin de faire quelque chose, pour éviter de me sentir désemparé ou inutile. Voici deux idées qu’il nous appartient de mettre en action. Elles ne sont pas aussi mûres qu’aurait pu faire espérer le temps de réflexion que je leur ai accordé. Prenez-les en l’état et voyez si elles peuvent contribuer à quelque chose de concret et positif.

Gestion des menaces et des erreurs

Je l’ai simplement évoquée dans le passé, en complément du Competence Based Training, la formation par les compétences. Le Threat and Error Management est une vision globale de l’activité. En très résumé, l’énorme majorité des vols se passe sans problème. Si on reprend mes statistiques personnelles, j’ai en gros 99,35% de chances de ne pas connaître de problème dans mon prochain vol d’une heure. Nous sommes dans le « ça va passer », et ça passe bien souvent. C’est normal vu que nous avons moins de 1% de chances de nous faire mal dans notre prochain vol. C’est rassurant 99%. Donc nous continuons comme si de rien n’était. L’effet de certitude joue à plein et conduit à croire que je n’ai donc aucune chance de me faire mal. C’est tout à fait faux.

Autour de ce grand nuage des situations sans problème gravitent des menaces. Nous allons, ou pas, les prendre en compte et les traiter. Si nous ne les prenons pas en compte ou les traitons mal, nous faisons une erreur. Et cette erreur peut conduire à une situation non désirée.

Je dis souvent dans mes interventions de coaching que nous pratiquons dans un milieu ou l’incertitude absolue est élevée, et donc que les erreurs sont inévitables. Qu’il convient alors de développer 3 compétences : limiter le nombre d’erreurs, savoir identifier que nous commettons ou avons commis une erreur, disposer des ressources pour sortir de l’erreur. Bien entendu j’applique ce discours au volet sportif, ou tactique, de notre activité. J’ai toujours distingué risque physique et risque tactique. Je peux appliquer ce discours au risque physique mais avec de gros bémols: l’unité de temps est beaucoup plus contrainte et toutes les compétences de pilote ne permettent pas de remédier à toutes les situations non désirées.

Que va-t-il se passer dans la situation non désirée ? Très souvent, rien. C’est pourtant là que s’est campée pendant longtemps l’analyse de l’accidentologie : turbulence, fermeture asymétrique, rotation, impact. Loterie de la fermeture et loterie des conséquences : un bon « rappel à l’ordre », un ego touché, un poignet fracturé, une vertèbre brisée ou une vie terminée ? Tout ceci est identique. C’est la loterie. Les conséquences en terme de gravité ne sont pas liées aux causes. Il est bien de savoir contrôler une fermeture mais le nœud du problème n’est pas là, la cause de l’accident non plus. Il faut remonter très en amont.

J’ai l’impression qu’un mouvement s’opère, qu’une conviction progresse, très lentement. Sortir de la technique, sortir également des risques psycho-sociaux et facteurs humains, pour aller vers un changement de culture. Une nouvelle perception par notre communauté de la réalité de notre activité. Le chemin est encore long. Il faudrait s’accorder sur l’endroit de la destination pour savoir comment avancer ensemble.

Un autre modèle que Reason garder

Vous avez certainement entendu parler du modèle de James Reason. C’est un système à base de plaques à trous, dit du fromage suisse. Pour que le trou dans la raquette ne se transforme pas en accident les autres plaques permettent de le recouvrir.

Je n’ai jamais été à l’aise avec son introduction pour la gestion des risques dans notre activité. Je ne l’apprécie pas pour une raison simple : je ne le comprends pas bien. Je ne vois pas comment la plaque « météo » me protège du trou « maîtrise de ma voile dans la turbulence ». Ou la plaque « réglementation » du trou « voler avec un matériel au-dessus de ses capacités ». Le simple fait de vouloir gérer des risques me dérange quand on parle de vie humaine mise en jeu.

Au modèle du fromage Suisse, j’aimerais opposer le modèle des pétales de fleur. Ou du bac à sable devenant piscine à balles. C’est une vision duale du modèle de Reason et je vais filer la métaphore pour vous exposer cette idée.

Au début de notre carrière, nous évoluons dans un cadre de dimensions réduites, comme un tout petit bac à sable dans un coin du jardin. Au fond du bac à sable et tout à côté : des fientes, des cailloux, des branches cassées, des feuilles mortes, des microbes PMB, des tas de trucs pourris. Pas forcément nombreux, pas forcément visibles, mais ils sont là.

Alors votre encadrant va vous donner des balles blanches. Vous les lancez dans le bac et essayez d’en couvrir la surface. Un coin est protégé, vous faites du gonflage. Puis viennent des balles jaunes, des balles orange : vous arrivez à ne plus voir le sable et ce qu’il peut contenir de nuisible. Premiers sauts de puce.

Le petit bac à sable avait un périmètre bien délimité par des planches placées solidement par votre encadrant. Maintenant que vous grandissez, les limites du bac sont déplacées, sa surface augmente. Sa frontière initialement bien rectangulaire devient protéiforme car vous vous apercevez que dans le jardin du voisin le même processus se produit, sans être exactement le même.

En progressant vos limites sont repoussées. Vous comprenez qu’il existe d’autres couleurs de balles, des vertes, des bleues et même des marrons. Vos encadrants les ont gérées pour vous jusqu’à présent. Vous allez petit à petit les prendre en charge vous-même et continuer à couvrir la surface du bac à sable. Vous vous rendez compte également que ces balles sont gonflables : en soufflant dedans vous pouvez les faire grossir et elles vous protégeront mieux. Mais attention, si vous ne les entretenez pas, elles dégonflent pour finir à plat et exposer le fond du bac et ses cochonneries.

Voilà ma proposition imagée par un bac à sable devenu piscine à balles. Non pas des trous dans des plaques mais une plaque à couvrir par des patchs. Les pétales de fleur couplés aux feuilles de nénuphar auraient pu fonctionner.

Vous vous apercevez ensuite des plantes apparaissent spontanément dans certaines parties du terrain conquis par le bac. Les grises du stress, les noires de l’entorse de cheville ou les rouges de l’arbre en entrée de terrain. Aussi, certaines balles semblent perdre leur couleur si vous ne vous en occupez pas, pendant que d’autres s’agglomèrent pour former des îles. L’île de la tentation de reposer au décollage. L’île de l’envie de faire un dernier wing avant d’entrer en finale devant les copains. L’île de la contrariété dans sa vie courante qu’on ne sait pas comment gérer. Il ne suffit plus de couvrir le fond du bac à sable, il faut maintenant nager dans le bac devenu piscine en les évitant, en passant au large.

Ou encore des gommettes, des vignettes occultantes pour recouvrir un lac de lave radioactif : elles sont trouvables en pratique encadrée avec un taux d’opacité de 50% au début, et vous pouvez améliorer ce taux d’occultation qui progresse avec votre expérience. Leur taille peut aussi augmenter en tirant gentiment dessus. Chacune a une couleur ou longueur d’onde parce qu’elles se destinent à contrer certains types de menaces. Elles se superposent pour diminuer la radiation, l’exposition au danger, le niveau de risque. Une gommette 50% sur une autre de 60% va donner 80% de protection sur un risque.

Mais le 100% n’existe pas, être brûlé par la lave radioactive est toujours possible. Croire être protégé n’est pas simplement illusoire, c’est un danger, un grand danger, supplémentaire. Sérieusement, êtes-vous prêts à jouer votre vie à la roulette russe avec un pistolet chargé à seulement 0,65%?

Pour ne plus voler au petit bonheur la chance

J’espère que vous êtes tous en bonne santé. La période étrange que nous traversons devrait nous donner le temps de la réflexion. Je me suis intéressé à différentes présentations sur les accidents, en parapente et ailleurs. Pourtant je n’arrive pas à produire un texte structuré sur mes pensées et avis. Je vous livre donc un ensemble de notes afin que les communicants et les matheux parmi vous les exploitent mieux que moi.

Humeur hivernale confinée
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Les petits ratés d’un gros fail

Enfin nous allons pouvoir voler ensemble avec Martin, Fred, Guido et Jules pour nous accompagner. Une semaine s’est écoulée depuis le gros vol de La Comté. Nous partons de la capitale un nouveau samedi à 7h pour le Dijonnais dans une belle dynamique matinale. Nous commençons à être assez fins dans la lecture des prévisions, dans l’interprétation des différents modèles en fonction de l’horizon temporel. L’hésitation entre Velars-sur-Ouche et La Certenue est tranchée sur le dernier pointillé séparant l’A38 de la sortie pour Autun. Nous prenons l’option Ouest de la bande de cumulus attendus par TopMeteo, sur la base d’une discussion au sujet de la taille et de la clarté des pixels blanchâtres sur la carte de nébulosité, et ce sera le bon choix.

Le sud du Morvan, en route vers Saint-Yan (c) Martin Morlet

Ce sera d’ailleurs un des rares bons choix de la journée, la suite étant un enchaînement de petits désagréments. Vous lisez certainement beaucoup de récits glorifiant les aptitudes d’untel, la beauté de ceci, les belles émotions de cela, la grandeur de telle chose. J’y contribue certainement. Dans la réalité, tout ne marche pas toujours comme on le souhaite, et peu de monde s’en targue. C’est toute l’histoire que je vous propose ici.

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Début de saison

Quelle année étrange! Après deux mois et demi de confinement à regarder des cieux de folie depuis le plancher des vaches, la période post-confinement est marquée par un nombre incroyable de journées à record pour le vol de plaine en France. J’ai passé certaines de ces journées à regarder le live-tracking, à tondre la pelouse en Savoie, à maugréer après un tas pathétique, à finir par faire du gonflage ou encore à rêver d’un treuil pour pouvoir me mettre en l’air. Et puis sur une journée estimée à 200 / 250 km de potentiel, je fais mon plus long vol en distance et en temps passé en l’air. Étrange je vous dis.

Petit travail de préparation pour le cross en plaine…

Avec Olivier, Fred et Simon nous arrivons sur site à 10 heures, il ne fallait pas plus tarder. Nous sommes à La Comté, une commune du Pas de Calais bien accueillante. Martin qui a raté son train d’une minute après s’être levé à 5h du matin n’est pas du voyage mais bien présent dans notre projet. TopMeteo ne s’est pas trompé, ce samedi 11 juillet 2020 sera une belle journée.

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Risque et incertitude

Au détour d’une lecture dominicale matinale, l’envie me prend de poser quelques mots. Deux en particulier. Risque. Incertitude. Ils sont décrits et par Frank H. Knight et même théorisés dans son ouvrage Risk, Uncertainty, and Profit. Je vous ferai grâce du troisième terme. Les plus entreprenants d’entre vous auront intérêt à explorer ses relations aux deux précédents. Que pouvons-nous tirer de cette théorie datant de 1921 (!) dans notre pratique? Commençons par une petite vidéo dans laquelle vous remplacerez « entrepreneur » ou « manager » par « pilote de parapente »:

Notons tout d’abord une focalisation. Cette théorie est reprise en Français sous le nom de « Théorie du risque ». Nos instances mettent en place une « Gestion du Risque ». Or les termes sont importants et dénotent une mauvaise compréhension du phénomène et donc les réponses apportées « risquent » de ne pas être appropriées. Distinguons donc ces deux notions qui visent à dépeindre l’avenir.

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