Pour ne plus voler au petit bonheur la chance

J’espère que vous êtes tous en bonne santé. La période étrange que nous traversons devrait nous donner le temps de la réflexion. Je me suis intéressé à différentes présentations sur les accidents, en parapente et ailleurs. Pourtant je n’arrive pas à produire un texte structuré sur mes pensées et avis. Je vous livre donc un ensemble de notes afin que les communicants et les matheux parmi vous les exploitent mieux que moi.

Humeur hivernale confinée

Les vrais taux d’incident ou d’accident

Les accidents se distinguent selon les phases de vol. Pour faire simple, il faut séparer d’un côté les décollages avec les atterrissages et d’un autre côté le vol proprement dit. Ceci afin de les étudier séparément. Nous avons donc deux facteurs intrinsèques d’accident: le premier en taux par rotation ou vol, le second en taux par heure de vol.

A titre personnel, mes stats sont les suivantes:

  • Sur 1228 vols, j’ai connu 2 incidents au décollage et 3 à l’atterrissage, soit un taux de 0,40% par vol.
  • Sur 2323 heures de vol, j’ai connu 4 secours et 2 voiles à décrocher, soit un taux de 0,25% par heure.

A noter que:

  • Mes 4 secours ont été tirés alors que je volais sur 2 voiles non homologuées avec quelques aménagements matériels expérimentaux à l’époque. Nous pourrions élargir le débat sur un possible taux d’accident propre à chaque aile.
  • Depuis la 1500me heure, je suis à 0, ce qui est à la fois rassurant et inquiétant.

Pratique encadrée

L’analyse des accidents selon les phases de vol dans une pratique encadrée pourrait faire croire qu’il faudrait quitter les écoles pour avoir moins de malchance de se faire mal au déco ou à l’attero. En réalité la question n’est pas la pratique encadrée ou pas quand on parle des accidents selon les phases de vol. L’entorse de la cheville n’est pas l’objectif de vos moniteurs, mais vos débuts vous y sur-exposent nécessairement.

La pratique non encadrée suppose l’autonomie, donc une capacité à faire des vols plus longs. Plus vous avancez dans votre volume d’expérience, plus vos temps de vols sont longs, tendant vers une asymptote, et plus votre nombre de cycles déco/attero par jour diminue pour tendre vers 1. Si vous êtes un pilote débutant, vous avez proportionnellement plus de malchance de vous faire mal dans les phases de décollage et d’atterrissage. Et si vous êtes un pilote d’expérience, vous avez plus de malchance d’avoir un problème dans la phase de vol.

A titre personnel, mes stats sont les suivantes:

  • 10 premiers vols, la durée de vol moyenne a été de 17 minutes.
  • 100 premiers vols, la durée de vol moyenne a été de 52 minutes.
  • 1000 premiers vols, la durée de vol moyenne a été de 1 heure et 52 minutes.
  • 100 derniers vols, la durée de vol moyenne a été de 2 heures et 8 minutes.

Au cours de mes 20 premières journées en école je devais tourner à 3 vols par jour, parfois 4. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En école la quantité d’exposition au facteur lié au nombre de déco/attéro est bien plus élevée que celle due au facteur temps de vol.

Conditions chimiques et chimie du cerveau

La probabilité de se faire mal au cours du prochain vol et de la prochaine heure de vol est restée globalement la même depuis le premier grand vol jusqu’au dernier. L’homéostasie du risque court après l’élévation des compétences, jusqu’à la prise de conscience et la modification des attitudes et comportements qui eux feront baisser la probabilité. Ne pas agir là-dessus c’est se condamner à réduire l’exposition, donc la pratique. C’est sûr qu’en ne volant pas, nous atteindrons l’objectif zéro accident.

Face à un danger objectif, nous avons trois options: fuir, contourner, affronter. L’option qui dégage le plus de dopamine dans notre corps en cas de réussite (vous savez, cette satisfaction immédiate que vous percevez lorsqu’un like vient gratifier une de vos publications), c’est l’affrontement. C’est un double piège: d’abord il faut arriver à s’en sortir, de cette situation dangereuse, et ensuite cette molécule va vous donner l’envie de recommencer pour recevoir une nouvelle dose de satisfaction qui sera malheureusement inférieure à la précédente. D’où les comportements à risque et les comportements addictifs.

En absence de situation critique à affronter, notre biais de confirmation fait que si nous n’avons pas eu d’incident jusque-ici (par chance ou inconscience, les menaces étant bien souvent invisibles), nous continuons, voire amplifions, notre manière de pratiquer sans jamais la remettre en cause (« Si t’es pas mort, envoie plus fort! », vous connaissez?). En continuant ainsi, nous allons dans le mur.

Tous les survivants ont tenté leur chance

Globalement nous partageons tous la même probabilité d’avoir un incident (0,5%?) ou un accident (0,05%?) ou un décès (0,005%?) dans notre prochain vol d’une heure. Partant de là, il convient de ne pas confondre passé et futur. Un pilote senior a plus de chances d’avoir eu un problème dans le passé qu’un jeune pilote. C’est une évidence mais apparemment pas pour tout le monde. Le junior et le senior ont en revanche la même malchance d’avoir un problème dans l’heure de vol qui vient, toutes choses égales par ailleurs (en supposant que les parapentistes naissent libres et égaux en droit de se planter ou de survivre à leur prochain vol).

Ne jouons pas à la roulette. Au casino, si le rouge est sorti 7 fois de suite, le noir n’a pas plus de chance de sortir au prochain tirage que le rouge. La probabilité reste de 50% (moins le 0 qui fait que c’est toujours la banque qui gagne de l’argent à la fin).

Ne jouons pas non plus à la roulette russe. La présence d’une balle dans le barillet est certaine. Au premier essai vous avez 5 chances sur 6 de vous en sortir. Si vous n’êtes pas mort, ce sera 4 sur 5 au second. Et 100% au sixième et dernier essai. En parapente, le barillet tourne entre chaque essai. Et s’il contient beaucoup plus que 6 emplacements, il n’est pas vide pour autant.

Nous sommes tous des pilotes moyens

L’analyse du profil moyen de l’accidenté ou du mort ne révèle rien, sinon des évidences. Ne vous identifiez pas à ce profil moyen. Les accidents sur la route ont lieu par temps clair, pas loin de chez soi, en absence d’obstacle, sur chaussée dégagée et revêtement en bon état, en moyenne (je suis allé volontairement suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière, c’était hyper instructif). C’est finalement une démonstration par l’absurde de l’idée de plaques et d’alignement de trous: si toutes les conditions sont nominales sauf une, vous pouvez vous faire durement percer. Parce que chaque condition est individuellement critique.

De plus, si nous souhaitions réellement approfondir cette notion de profil moyen, il faudrait le décorréler du profil moyen du licencié. Dans notre sport, les hommes sont plus fidèles à la licence que les femmes. Les hommes sont licenciés environ deux fois plus longtemps que les femmes. En démarrant au même âge, la population masculine est forcément plus âgée que la population moyenne qui est forcément plus âgée que la population féminine moyenne. 50% des licenciés hommes ont 45 ans ou plus (20% des licenciés femmes) alors que 50% des licenciés femmes ont moins de 33 ans (25% des licenciés hommes). Si vous avez lu ce qui précède, vous savez que les pilotes senior ont plus de chances d’avoir eu un problème (durée et nombre d’expositions au risque) que les pilotes junior. Autant de données factuelles non prises en compte.

Threat & Error Management

Sur l’idée du brevet obligatoire, j’ai entendu la réponse suivante: « le rendre obligatoire conduirait à ce que 100% des accidentés soient brevetés ». Et alors!? 99,9% des conducteurs décédés en voiture avaient le permis de conduire, faudrait-il le rendre optionnel pour rendre nos routes plus sûres? Ridicule. Il serait intéressant de se pencher sur cette question de manière non dogmatique. Et de réfléchir aux compétences qui doivent être validées pour ce brevet.

Pour terminer ce long billet décousu, j’aimerais parler du TEM. Le Threat & Error Management est le pendant du CBT que j’ai évoqué par ailleurs. L’idée est que lister des manœuvres qui ont conduit à l’accident n’est utile que si c’est le début d’une analyse, pas sa conclusion. L’étape suivante consiste à remonter à l’erreur souvent humaine qui a conduit à cette situation non désirée, pour encore remonter aux circonstances qui ont entouré cette erreur, avec l’identification des menaces présentes. Ce n’est qu’à ce niveau que l’intervention peut être efficace pour limiter les accidents par de meilleures procédures et décisions, encore une fois en modifiant attitudes et comportement. Cela pourrait être le sujet d’un futur billet, en attendant intéressez-vous à la documentation aéronautique existant sur le sujet.

2 réflexions sur « Pour ne plus voler au petit bonheur la chance »

  1. C’est lumineux..après l’avoir lu. Avec une lecture sensible et instructive des statistiques
    qui met en lumière le facteur humain du vol libre.
    Merci pour cette analyse pas si décousue que ça

  2. Ce que je crois c’est que Maxime parle plus de facteurs organisationnels qui donnent aussi la capacité de gestion des pilotes dans un environnement incertain plus que de facteurs humains. Il faut retenir à mon sens que le facteur humain est plus positif pour la gestion des risques que négatifs, d’ailleurs les chiffres le disent bien comme le montre Maxime. Au final les accidents se produisent par la concomitance d’événements qui trouvent leurs sources dans l’humain, le matériel et leur interaction avec leur milieu.

    Merci Maxime pour cet article éclairant.

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