A la poursuite du front froid

J’ai un temps espéré faire un aller-retour Sud/Nord sur samedi et dimanche. Martin n’était ni convaincu ni disponible. En revanche il m’a suggéré d’aménager ma journée de mardi. TopMeteo annonce un passage de front froid dans la nuit et en début de matinée suivi d’une masse d’air bien active sur sa traîne, le tout sur un flux d’Ouest. Je trouve que le passage du front devance de peu le projet de vol. Je me demande s’il a l’idée d’aller partir au treuil de Nantes ou Poitiers. Mais non, la vraie idée lumineuse, c’est le choix d’un site quasi-inconnu, en tout cas pour moi: Saint-Léonard des Bois. Un site qui affiche 3 vols déclarés sur 10 ans de CFD, tous sur une orientation Est. Cherchez les erreurs!

Sur place (merci à Denis et son papa pour la navette bien remplie depuis Alençon) nous continuons à chercher l’erreur en découvrant ce qui doit être le décollage: une trouée dans les broussailles et la pinède pour donner un point de vue aux marcheurs faisant une pause sur le banc posé là. Il y a bien 100m de dénivelée, mais en négatif. Le village en bas est dans un trou et nous faisons face à un décollage falaise en Est. Le vent rentre léger travers droit par cycles puissants. Il me faudra trois essais pour ne toucher ni à droite ni à gauche et me faire extraire du déco dans une bouffe pas trop turbulente. J’ai repiqué la vidéo de Régis pour illustrer mon propos.

Il est évident que nous ne pourrons décoller en rafale et voler en groupe. Denis en fera les frais. Avec Régis nous trouvons et décalons un premier noyau. Plafond à 800 puis 1000m, c’est parti. Régis choisit de suivre une rue sur une forêt, plus au Nord, dommage. Dans le même temps, en 30 minutes, le plafond monte à 1500m, je me régale et navigue au nuage, de nuage et nuage. Il y a du Sud dans l’Ouest, je commence très tôt mes zig à droite en transition pour aborder au mieux le couloir entre Paris et Orléans.

J’ai le temps d’admirer la plaine, tous ces champs jaunes moissonnés parsemés de prés verts, entrecoupés de bois et forêts. Je n’avais pas trop d’objectif chiffré pour ce vol. Je me disais que les 200 étaient possibles et qu’il y avait de quoi améliorer ma meilleure distance, un pauvre 195km de Jeufosse. J’ai tendance à être trop rapide en cross. Surtout dans le créneau 13-14h dans lequel je me suis déjà fait piéger, juste après la fin du mélange post-résorption de l’inversion matinale et de la montée des plafonds. Alors je blinde. Il y a 20km/h de dérive moyenne, je peux faire des ronds et rester confort dans un plus pur style de Normand. Je regrette que Martin n’ait pu s’extraire dans le même créneau, nous avons des styles proches ou au moins compatibles. Il est certain qu’à plusieurs nous aurions pu être diantrement plus efficaces. D’un autre côté je vole tranquille et sans stress, autonome et en suivant mes choix, alors tout va bien.

J’enroule une quantité incroyable de 1m/s, parfois en me faisant bien brasser. Je rebondis de partout. A plusieurs reprises l’alarme de proximité de zones de mes Oudie3 résonne pour des FL65 de Paris-7 dans le couloir entre Paris et Orléans. Je garde au moins 200m de marge et dépasse rarement les 1800m.

Avant Pithiviers je suis télé-transporté en Colombie. Des agriculteurs embrasent une chaume. Pour rien au monde je n’irai m’y frotter. Je décide de perdre un peu de plafond et pousse sur le barreau (ça me réchauffe un peu les guiboles) pour contourner le champ puis me placer devant son panache jaunâtre. Je recommence à enrouler 200 ou 300m sous le vent des premières volutes en tentant de me raisonner: elles n’ont pas de vitesse propre, elles n’ont aucune raison de me rattraper. De plus elles ne montent plus, elles ont dû se refroidir. J’ai à peine le temps de percevoir leur odeur un peu âcre.

Vers le km 250 toute la théorie de la prospection thermique s’effondre. Je suis bas. Je m’aligne sur une cuvette tapissée de prés blonds qui remonte sur un plateau boisé avec une belle lisière. Source, collecteur, déclencheur. A l’orée de la forêt: rien, pas un bip. Je vais donc la survoler sur 1 ou 2km et aller poser derrière. Je n’ai pas fini de la traverser que mon vario se réveille. Je travaille le 0,2m/s irrégulier en dérivant sur 5km et me voilà temporairement tiré d’affaire. Cela me rappelle un bon souvenir de vol avec Jean-Luc au départ de Clécy. Avec mon bermuda et ma chemisette je m’étais bien caillé jusque-là. Voler plus bas me réchauffe un peu. À partir de là les conditions sont étonnamment douces et régulières, je flotte, j’enroule du petit, je monte en dérivant, je chasse les dernières barbules en formation.

Je redoutais de rattraper le front froid. La réalité est autre. Non seulement un voile arrive par l’Ouest mais en plus le soleil se jette inéluctablement dedans. C’est alors que je découvre presque par hasard que je suis à plus de 300km de mon point de départ. Je n’ai pas mis de goto dessus, j’avais rentré deux routes différentes sur mes deux GPS. Je faisais régulièrement un peu de calcul mental en fonction de mon point de virage intermédiaire et de mes buts fixés. J’allais de temps en temps jeter un coup d’œil sur la liste des points de virage triés par distance. En arrivant à hauteur de Eaux-Puiseaux, en approche de Troyes, je me dis qu’il ne doit plus manquer grand chose. Je farfouille dans les menus, descends la liste, cherche dans les 200, ne trouve pas Saint-Léonard, et bim le voilà: 302! Sensation de calme et de plénitude incroyable.

À partir de là je suis un peu dissipé. Je survole Troyes et la tentation de la gare SNCF est grande. Mais je décide de faire mon Charles: j’enroule du 0,5m/s de la main gauche et me sers de la droite pour prendre des photos avec le portable, envoyer des SMS et poster sur FB. Pas sérieux mais tellement heureux. Il est 19h passées, je trouve encore des thermiques mais le voile vient faire écran. C’est dommage, 30km plus au nord et idem au sud il n’avance pas aussi vite que sur moi. Je choisis de longer la rive nord-ouest des lacs d’Orient et d’Auzon-Temple à tort ou à raison, réanime mes jambes dans la dernière glissade et me pose après 332km et 8h de vol que je n’ai pas vus passer. Bien mieux que ce que laisse à penser l’application Air Tribune que je testais pour le suivi temps réel et m’a gratifié de 14m de parcours en décalant l’horloge de mon téléphone de 15 minutes, étrange et décevant pour un tel vol. Une raison pour remettre ça à la prochaine occasion et faire mieux en km que le nombre de mentions « j’aime » sur la page du projet Speed2fly !

Je vous passe les aventures de la récup, ses péripéties et les personnes rencontrées. Pourtant pour moi elles font partie intégrante de ces plaisirs du parapente. Du stop dans des voitures usées, quelques kilomètres à pied qui usent, un resto gastronomique local, une nuit d’hôtel économique et un voyage en tortillard matinal m’ont donné du temps pour savourer l’expérience et écrire toutes ces lignes. Il me reste encore à retourner chercher ma moto à la gare Montparnasse, j’espère qu’elle y est toujours. Je suis admiratif des chasseurs de distance qui sacrifient beaucoup et organisent une bonne partie de leur vie en fonction de cette quête de kilomètres. Je n’avais pas trouvé le temps et les moyens d’y parvenir jusque-là. Hier j’ai réussi pour une fois à tout caler et la récompense était là, délicieuse. Un épisode de bonheur simple.

Modifiez votre fond d’écran. Affichez la carte des fronts à H+48. Puis partez à la découverte. Vous en reviendrez plus riche.

10 réflexions sur « A la poursuite du front froid »

  1. Salut et bravo. Le lac près duquel tu poses, ce n’est pas le lac du Der qui est plus au NE, mais le lac d’Auzon-Temple, qui est dans la forêt d’Orient.

      • Sallut JC, stricto sensu, le lac de la Forêt d’Orient c’est le premier des 3 lacs, mais bon, c’est un lac de la forêt d’Orient 😉 J’imagine qu’on appelle comme ça aussi les 3 lacs qui sont dans la forêt et qui se suivent.

    • Merci Marc, doublement ! Tu as tout à fait raison. Je suis un traumatisé du lac du Der. Mon câble de rappel sur un 470 avait cassé et le dériveur chaviré. Puis j’y avais posé de peur de rentrer dans Saint-Dizier alors que l’ancienne zone était inactive. Je corrige !

  2. Magnifique! Encore bravo Maxime, j’imagine bien qu’avec Martin ça aurait chauffé de sacrés records !

  3. Bravo maxime
    Il me semblait bien que tu étais en forme ces derniers temps… Ça me rappelle un arrêt raté à Troyes pendant mon SN … J’ai fini à langres dans une gare perdue…

  4. Bravo pour ton joli vol et ce récit agréable à lire. J’aurai bien aimé le faire avec toi ; (

  5. Jolie performance et des talents de conteur qui rendent le récit très agréable à lire…
    Moi qui suis un pilote de site et n’ose pas prendre la clé des champs, ça me questionne !
    J’habite Bordeaux , mais suis sarthois de naissance et je connais le site de St Léonard qui était dédié au delta il y a 30 ans. Effectivement ça donne pas envie de voir ce déco sauvage…

  6. Salut,
    Evidemment je te tire mon chapeau pour ce vol mais présentement, c’est pour savoir comment tu fais pour avoir des cartes de fronts en fond d’écran que j’écris. Si tu peux donner le tuyau, ça m’intéresse : savoir où trouver ces cartes et les avoir à jour automatiquement, et comment bidouiller les paramètres de fond d’écran si toutefois tu utilises ubuntu.
    Merci !
    Etienne

    • Salut Étienne,
      Je suis allé piocher sur différents sites pour trouver des analyses de pression en surface. Je récupère les images lorsque leur nom ne dépend pas de la date ou de l’horizon de la prévision mais porte un libellé générique (genre « H+36.jpg »). Tu peux écrire un petit script qui télécharge régulièrement ces images et alimente un répertoire de photos utilisé pour un diaporama de fond d’écran. Pour te donner une idée j’ai créé cette page. Les images sont cliquables.
      A bientôt!

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