Bien en vie

Ce billet est une suite du précédent. D’abord parce que j’ai oublié de dire que beaucoup de gens m’ont soutenu, que j’ai senti de la chaleur humaine autour de moi, et que j’en suis reconnaissant. C’est une de mes chances supplémentaires dans l’histoire.

Ensuite parce que je me sens ou me suis senti assailli de questions, fortement remué intimement, parfois pour des débats fallacieux à mes yeux, parfois pour de bons sujets. Dans la mesure où j’ai livré cette intimité en publiant ce récit, et dans la limite où les questions ne sont pas invasives, essayons de faire avancer le schmilblick. Courage c’est encore beaucoup de lecture, car je veux pas tomber dans le simplisme.

Afermath

Je n’ai pas trouvé mieux comme titre, désolé, moi un combattant des anglicismes. Mais c’est comme la saudade ou la Gestalt, on n’a pas d’équivalent aussi signifiant en français.

Dès le début je ne savais pas si je faisais bien de publier mon récit. Effets positifs: cela m’a fait du bien de l’accoucher, je peux partager 2 ou 3 conclusions avec un large lectorat, je me sens bien entouré. Effets négatifs: cela aurait dû m’épargner de la salive, raté, me permettre de passer à autre chose, raté.

Ce récit est mon billet le plus lu et de loin depuis la création de ce blog. C’est toujours la même ambigüité d’écrire un blog. J’en suis à la fois heureux et triste. J’aurais aimé faire ce score dans le cas des billets sur la sécurité en compétition, ou que cela soit le cas à l’avenir lorsque je franchirai les 400km en France ou que je serai champion du monde. Bon, ben ça il n’y a plus qu’à le faire pour le savoir maintenant!

Mais je crois aussi aux vertus de ce récit, c’est bien qu’il soit si populaire car pas mal de lecteurs ont compris le message. Ceux qui se croient en sécurité parce que leur voile a passé un test en air calme au-dessus d’un lac… je leur souhaite de le comprendre au plus vite. Idem pour les quelques convaincus de leurs certitudes ou des derniers échos des traditionnels on-dit sur la gestion des incidents de vol, le comportement des ailes de compétition, l’état d’esprit des compétiteurs… je poursuivrai mon effort de communication.

Au risque de prendre les 50 points de pénalité promis, les antennes de Saint-Hilaire sont un coin pourri. Je ne suis pas le premier à le découvrir. Je n’aurais pas été le premier à y rester. C’est juste l’histoire d’un vrac dans une zone de déclenchement thermique qui peut passer sous le vent par rafales, cette zone n’étant autre qu’une falaise. Et pourtant…

Les renforts

Et pourtant un débat semble s’ouvrir sur l’utilisation de renforts dans les voiles. C’est complètement à côté de la plaque me concernant.

La compétition est une antichambre pour la conception des ailes de tout le monde pour demain. Il est normal d’expérimenter et de mettre en œuvre des innovations qui n’existent ni dans la série ni chez les concurrents. Qui se plaint de la réduction de la trainée par simplification du cône de suspentage? Qui se plaint de ses inter-caissons diagonaux? Qui se plaint des 3 lignes? Qui se plaint de l’emploi de nouvelles techniques de couture pour améliorer les états de surface? Et pour faire court et en venir au point particulier des matériaux pas tout à fait souples, qui n’a pas de mylar dans son bord d’attaque?

Les renforts sont une vieille histoire. Concernant ma voile actuelle, ils ont été mis au point sur les XP et les prototypes d’IP3 lors de la saison 2008. Qui connait réellement leur objet? Il s’agit de renforcer la voile dans sa corde, à haute vitesse, pour éviter un effet de renfrognement du profil connu sous le nom de pac-man, et qui a joué des tours pendables ces dernières années à des pilotes volant sous des ailes de toutes les marques. Il n’y a pas eu de coup de baguette magique dans la mise au point. Cela a été un long travail de test, sur les diamètres, les longueurs, les caissons concernés, jusqu’où dans l’envergure, quel vieillissement du tissu, quel type de couture, le pliage dans le sac…

Effet induit de ces joncs dans la corde, la résistance aux frontales est aussi améliorée. Sur X heures de vol, un pilote subit disons 5 frontales, 3 à vitesse bras hauts et 2 en accéléré. Il ne lui reste plus à subir que les 1 ou 2 en accéléré, c’est un progrès, mais cela nécessite plus de vigilance, paradoxalement. Car les frontales sont moins nombreuses, mais de manière relative elles se produisent avec les plus fortes énergies. Autre effet induit, le bord d’attaque ne roule plus sur lui-même, il a tendance à casser. Il faut être à la fois plus patient et plus actif pour la réouverture, et, encore une fois, de préférence vigilant pour les prévenir, ce qui est encore mieux. Il faut apprendre à voler avec, comme tant d’autres choses. Peut-être que cette innovation sera conservée longtemps, peut-être que d’autres innovations viendront faire mieux dans peu de temps. En tant que telle, rien ne permet de la condamner aujourd’hui.

Certains préfèreront une voile qui ferme à tous les vols pour rester en éveil, pourquoi pas, il y en a sur le marché. Ma première voile a été une Vertex, j’ai déjà donné, merci, j’ai beaucoup appris, j’ai dû gérer une fermeture à chaque vol, maintenant ça va.

On parle de joncs mais, dites-donc, personne n’a-t-il jamais eu à tirer son secours avec la voile en papillote le long d’une falaise avant l’utilisation de joncs dans la corde?

Il paraitrait même que ma voile ne s’est pas réouverte à cause des joncs. Ou qu’elle est restée verrouillée à cause d’eux, encore. C’est faux. Le centre de ma voile pliée en 3 volait, et pas besoin de joncs pour verrouiller deux cravates, chacune sur un tiers de l’aile. Je n’ai pas eu une chance de pouvoir penser à défaire ces cravates. Là où ils ont pu avoir une influence, c’est dans un effet de volet au centre de la voile pendant la frontale, c’est tout. Donc, j’enfonce le clou, il faut être vigilant et réactif sur les amorces.

Dans la situation décrite, il n’y a qu’une solution: le secours. C’est ce qui nous retient à la vie. Il faut le tirer sans hésitation, sinon c’est juste trop tard. Quant à savoir comment j’aurais géré une frontale et comment cela se serait passé avec 1500m de gaz sous les pieds, qui peut croire que j’en parlerais ici aussi longuement? Qui peut croire que j’ai la moindre envie de voler sous un piège? Je ne vais pas pondre 10 billets à chaque fermeture ou trépidation de ma machine, tout le monde s’en fout. A la limite j’ai déjà publié des vidéos de SIV, c’est sympa à regarder.

Le pilotage, mon pilotage

Sur une amorce de frontale (juste quand la tension diminue dans les A et que le bord d’attaque commence à se déformer) un problème de sous-incidence et de perte de pression vient de se matérialiser. Pour remettre de l’incidence il faut diminuer la vitesse, en diminuant la vitesse rapidement le pendule redonne transitoirement de la pression. Alors l’amorce est contrée. Plus le différentiel de vitesse disponible rapidement est important, meilleures sont les marges. Si le pilote réagit vite et bien. Voila pour la précision concernant la réserve de sécurité avec une vitesse plus élevée.

D’une manière générale je cherche à progresser. Je me questionne, le doute est comme la curiosité, cela peut être un moteur. J’accepte difficilement la fatalité. Je suis juste convaincu que nous pouvons trouver des solutions à nos problèmes, mais que nous découvrons de nouveaux problèmes tous les jours. Qui ne voit pas le lien avec le pourquoi de ma pratique en compétition? Donc j’ai appris de cet incident. Donc j’aurai plus d’amplitude à la commande plus rapidement à l’avenir dans ce genre de situation.

Ce qui est également vrai, c’est que je n’ai rien senti venir. Alors je cherche aussi à comprendre pourquoi. La focalisation de mon attention – large/étroite, interne/externe- est un de mes axes de recherche pour améliorer tant mes décisions que mes actions en vol. Donc je crois que l’endroit dans lequel se situait ma pensée au moment du vrac a eu une influence sur mon temps de réaction. Quelle influence exacte, 1 dixième de seconde, 6 dixièmes, c’est impossible à déterminer, je ne vole pas avec un électro-encéphalogramme, pas encore.

Un temps infini, c’est relatif

La théorie de la relativité générale d’Einstein démontre que l’écoulement du temps et la mesure des distance dépendent de la position, de la vitesse et de l’accélération de l’observateur. Il n’a fait ni de vol libre ni de psychologie à ma connaissance, mais il aurait pu dire avec nous que le temps a une dimension -une longueur- différente lorsqu’on lance son secours à moins de 100m/sol ou à plus de 1500m d’altitude.

Le timing de mon histoire mérite d’être précisé. Car mon récit est long, mais finalement c’est beaucoup de mots pour peu de secondes:

  • Je vraque à 12:49:15 à 870m d’altitude.
  • Je lance le secours vers 12:49:20.
  • Il semble m’avoir pris en charge vers 12:49:30.
  • J’impacte dans la falaise à 12:49:35 à 770m.

En résumé: 5 secondes de vrac, 10 secondes de lancer et d’ouverture de secours, 5 secondes sous le secours. Pas possible d’être bien plus précis, à quelques secondes près.

A moins de 100m vertical et peut-être 20m horizontal d’une falaise, quand on voit son parachute de secours remonter le long du suspentage sans vraiment s’ouvrir, ce n’est que le temps d’un coup d’œil, mais ça rend le temps très très long. Tout est relatif…

La lecture du cardio

La capture ci-dessous (il faut cliquer dessus pour l’agrandir) montre dans l’ordre: 8 minutes de vol, les quelques secondes sous le secours, les 6 minutes dans la falaise, la minute de dégringolade avec le secours jusqu’au pierrier, puis le début de l’attente de l’hélico.

Le rythme cardiaque commence à monter à l’instant de la fermeture. Au moment de l’impact dans la falaise, soit 20 secondes plus tard, le cardio est à 95% de la fréquence maximum, puis redescend. Quand le thermique fait mine de décrocher mon secours, le palpitant monte dans les tours. Et lorsque je me fais décrocher de la falaise, la courbe repart à la hausse pour atteindre 100% de ma fréquence cardiaque maximum au moment du posé dans le pierrier. Ensuite il reste élevé le temps de m’affairer pour mettre mon bazar en sécurité. Il remontera plus tard lors de la manœuvre d’extraction avec les hélicos.

Un cardio pour quoi faire

(Recopie d’un commentaire sur un ancien billet)

D’abord: je suis curieux et j’aime bien étudier les apports de la technologie (assez rudimentaire en l’occurrence) ou de la technique. Pas vraiment d’objectif donc, mais une recherche d’idées qui peuvent faire la différence.

Première idée: la dépense énergétique. Les besoins énergétiques minimaux chez l’adulte sont de 1200 kcal/jour, et en moyenne de 2500 kcal pour une activité moyenne vu mon poids, ma taille et mon âge. Avec seulement 2h30 de vol en conditions calmes ma dépense quotidienne se situe entre 4000 et 4500 kcal. Pour des compétitions d’une semaine, les conséquences de cette dépense si elle est mal compensée feront une grosse différence.

Seconde idée: les biais attentionnels. Il m’arrive parfois de trop focaliser, de rentrer dans un tunnel de certitude avec rupture des prises d’informations et du processus de décision. Il est difficile pour moi de détecter que je rentre dans cette phase et je voulais savoir si mon pouls pouvait être un indicateur objectif, un message d’alerte en quelque sorte. Pas de conclusion à tirer encore.

Troisième idée: la gestion du stress. La fréquence cardiaque est un symptôme du stress, qu’il soit physique ou psychologique. Je voulais connaître mon niveau de stress et comparer mon observation aux résultats d’autres études faites sur des vélivoles ou des libéristes, avec d’autres moyens de mesure. Ma réponse au stress est conforme à ces études, je vais donc pouvoir agir en conséquence pour l’utiliser positivement et le contrôler. Enfin, quelle que soit la situation en vol, haut ou bas, rapide ou lent, en retard ou en avance, mon niveau de stress est bas: je vis bien ces situations, dans le calme et la sérénité!

En conclusion: voler est bon pour ma santé et mon esprit!

8 réflexions sur « Bien en vie »

  1. Salut Maxime,

    Toujours aussi instructif de te lire.
    L’analyse et le recul dont tu fais preuve apporte vraiment beaucoup à notre pratique souvent très "terre à terre", un comble… Merci de nous faire un peu avancer avec toi.

    La conduite à tenir en cas de frontale accélérée sous une aile à fort allongement semble définitivement différente des habitudes qui consistaient surtout à rester bras haut en attendant la réouverture pour ne pas décrocher. Ici il est clair que l’ennemi n’est plus le décro mais belle et bien l’ampleur de la fermeture qui provoque des cravates et autres emmélages irréversibles. Le matos évolue il faut évoluer avec.

    Aussi, je me pose pas mal de questions sur le pilotage aux C, si tu as 5min peux-tu faire un tour ici ?
    http://aeryan.bbactif.com/pilotage-

    Merci, bons vols, à bientôt
    Nico

  2. Moi j’ai une certitude : j’attends, avec un peu d’impatience, de lire tes billets.
    Partager, rien de tel. Pour soi et pour les autres.

    "En conclusion: voler est bon pour ma santé et mon esprit!" <– moi, aime bien ça!

    gilles

  3. Salut Nico,

    Je redoute trolls et inondations bien plus que les frontales! (EDIT: ce qui fait que j’évite autant que faire se peut d’intervenir sur les forums)

    Pour ce qui est du pilotage au arrières, je devrais pouvoir essayer une Peak ce week-end au Mont-Myon. Je ferai gaffe, je ne connais plus trop les réactions des voiles homologuées 😉 Je te raconterai ce que je trouve.

    Maxime

  4. Salut Maxime,

    Merci d’avoir détaillé le timing de la courbe ‘fréquence cardiaque’, elle en devient bien plus lisible.

    Il me semble lire entre les lignes que tu cherches avant tout à valoriser la sécurité active, je ne peux qu’applaudir de mes dix doigts. Et je le souligne pour mieux le faire passer.

    J’espère avoir le plaisir de te revoir un de ses 4′.
    Bons vols,
    Nicolas

  5. Yop Maxime, Max 😉

    "Pour remettre de l’incidence il faut diminuer la vitesse, en diminuant la vitesse rapidement le pendule redonne transitoirement de la pression. "

    Pas uniquement. Reculer le point pilote marche aussi extrêmement bien. Les quelques kg que tu appliques aux freins, ou en tirant les C (généralement action qui stabilise le profil s’il en a encore l’aspect) font reculer le centrage du pilote de beaucoup de %.

    Piloter au pied peut prévenir la fermeture, mais si elle a eu lieu, ou si tu n’as pas assez de réserve de vitesse comme tu le dis, l’action physique sur les freins ou les C reste quand même le meilleur moyen de contrer la fermeture. Etre aussi violent que la voile. Et aussi rapide.

    Facile à dire derrière son clavier.

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