Je vais être long, beaucoup de choses à dire, beaucoup de choses à préciser. Les évènements tragiques du 6 juillet m’ont bien tourneboulé: dans une conjonction extraordinaire nous avons perdu simultanément 2 pilotes lors du championnat du monde FAI et le grand maître d’œuvre du circuit de la coupe du monde PWCA. Le week-end dernier mon club organisait un week-end de biplaces découverte. J’ai eu les plus grandes difficultés à envisager d’emmener des passagers en vol et puis le plaisir de partager un vol et de faire découvrir notre activité a fini par prendre le dessus. J’appréhende le caractère émotionnel de notre prochain déplacement en Turquie. Comme tous je me pose beaucoup de questions, étant concerné au premier plan je me pose beaucoup de ces questions à la première personne. Ce week-end, de passage dans les Vosges pour une compétition régionale, le sujet est de toutes les discussions au bar de l’attéro.
Le débat qui se développe sur les listes de diffusion et les forums hexagonaux et internationaux a immédiatement pris une tournure hystérique. Il est impossible de relever le nombre d’erreurs, d’incompréhensions, d’inexactitudes, de raccourcis, de méconnaissance du sujet et d’avis péremptoires. La raison qui aurait dû prévaloir après une période hautement dense en émotions revient à peine.
La FAI a décidé de suspendre l’autorisation donnée aux ailes de compétition de participer aux championnats FAI de niveau 1, entrainant une réaction en chaine dans les différentes fédérations nationales, effrayées par les perspectives d’avoir à discuter avec des assureurs ou des avocats. La FAI rédige des règlements sportifs et organise des compétitions internationales. Elle a décidé de suspendre une catégorie de voiles qu’elle a créée et homologuée parce qu’elle n’a pas eu le courage de prendre la décision qui s’imposait, à savoir arrêter le championnat du monde, laissant cette responsabilité à l’organisateur. Donc pour l’instant ces voiles ne sont pas autorisées en compétitions FAI de niveau 1 (championnat du monde et championnats continentaux). Soit. Pourquoi pas. La fédération internationale de voile a aussi le droit d’interdire aux 470 de concourir en Optimist et la FIA a le droit d’interdire les F1 en GP2. Mais de là à interdire les F1 sur tous les circuits et les 470 sur tous les plans d’eau du monde? En quoi cela pourrait-il donner la moindre base juridique à un recours contre un organisateur? D’abord ce sont les compétiteurs qui font le choix de leur voile. Ensuite les certificats de navigabilité d’un aéronef sont délivrés par une autorité civile, certainement la DGAC ou peut-être un machin européen, mais certainement pas la FAI. Et de toutes façons, les planeurs ultra-légers, de moins de 70 kilos, non motorisés, comme le sont nos parapentes, sont dispensés de certificats de navigabilité!
On parle d’accidentologie des compétitions mais les statistiques sont soit absentes, soit ne démontrent pas de dangerosité des ailes de compétition, soit montrent un problème sur un évènement particulier: les championnats FAI de niveau 1. On parle de dangerosité du matériel ou de son caractère non homologué pourtant il répond à une liste de contraintes ignorée de beaucoup. Il y a confusion avec les prototypes qui ne sont plus acceptés en championnat FAI et sont des voiles produites à moins de 10 exemplaires pour lesquelles le constructeur délivre expressément un permis de voler nominatif à quelques pilotes qu’il agrée. Et les voiles du championnat du monde ont dû remplir un cahier des charges renforcé et établi par la FAI. Et nos ailes de compétition sont produites en série, ajoutant encore à ce gloubi-boulga de vocabulaire imprécis: voiles homologuées ou pas, voiles de série ou pas, voiles open ou de compétition ou pas.
Concernant les voiles je ne suis pas un spécialiste de la résistance des matériaux ni de la mécanique des fluides. Il est flagrant que les asymétriques ne posent pas trop de problème depuis plusieurs années sur les voiles de compétition cependant la technologie en 2 lignes semble aggraver les problèmes sur les frontales. Elles préviennent moins et surviennent à plus grande vitesse. Me concernant ce phénomène a commencé à apparaître avant les 2 lignes, dès que j’ai commencé à renforcer mes profils avec du fil nylon. Avec 1/3 de points de soutien de la structure en moins, lorsque que la voile ferme il me semble évident que plus rien ne tient ni ne vole sur l’ensemble de la section de profil considérée. Encore une fois je ne suis pas un spécialiste, j’ai une impression. Peut-être que les voiles en 2 lignes ont introduit avec un comportement moyen plus confortable et des performances absolues en net progrès, au prix de nouvelles réactions, plus dynamiques, plus violentes. Peut-être que la structure en 2 lignes fait-elle perdre au parapente son côté "idiot-proof" qui pardonne tant à tant de pilotes, même sous les voiles de compétition il y a encore peu.
Et les pilotes alors? Les voiles compétition sont ce qui se fait de mieux en performance. S’il y a 500.000 parapentistes dans le monde, seuls 0,1% d’entre eux soit 500 pilotes sont capables de maitriser et exploiter ces machines. Ce nombre est stable par construction ou principe. Depuis 18 mois combien se sont vendues de voiles de compétition, 500? Plus encore, 1000? Sachant que la durée de vie performante d’une voile de compétition est d’environ 2 ans, où sont passées ces voiles? Nous aurions doublé ou triplé magiquement le nombre de pilotes ayant le niveau et l’expérience requis? Non. Mon avis est que trop de pilotes ont cru que la performance devenait accessible sans contrepartie. Trop de pilotes on cru qu’on pouvait gagner 10km/h de vitesse max exploitable sans contrepartie. Trop de pilotes ont cru que la voile était d’autant plus solide dans la turbulence qu’ils poussaient plus profond le barreau. La performance demande des contreparties, en particulier un temps d’adaptation, une augmentation de la capacité de pilotage actif, un meilleur ressenti des informations transmises, un temps de réaction réduit. Il faudrait donc se former et s’entrainer?
Il est donc du parapente comme des cigarettes: il faut imprimer des avertissements sur les sacs de voile. Pour une EN-A: "attention voler crée des addictions", sur une EN-B: une photo d’hélitreuillage, sur une EN-C: "attention voler met votre ménage en danger", sur une EN-D: "attention voler tue", sur une voile de compétition "formez-vous, formez-vous, formez-vous". Si nous voulons être sûrs de ne plus avoir d’accident en compétition, il faut interdire les compétitions. Comme il faudrait aussi interdire le vol libre au Pérou ou en montagne. En fait il faudra interdire le parapente. Et puis nous mourrons quand même un jour. En attendant j’ai très peur de l’évolution des EN-D si celles-ci deviennent les outils des compétiteurs, car ce ne sont plus 500 pilotes qui seront concernés, mais bien 5000 qui recevront des voiles certes certifiées, mais qui auront un comportement bien plus radical que les EN-D d’aujourd’hui.
Jusqu’à présent j’étais à 100% pour l’Open Class. Maintenant je penche pour un système de jauge plus élaboré qu’actuellement. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, le groupe de travail de la FAI/CIVL qui a édicté les règles dans les 12 derniers mois spécifiquement pour ce championnat du monde les a rédigées comme une étape transitoire vers une procédure de certification des voiles de compétition. Le test en charge, le calcul à 23G, les vidéos, les rapports de pilotes d’essai et la déclaration d’expérience des pilotes sont les premiers éléments mis en place. A partir du travail de la CIVL et de la position de la PWCA ("par les pilotes et pour les pilotes"), créons l’IPOCA: International Paragliding Open Class Association sur le modèle de l’IMOCA. Définissons une jauge, un ensemble de contraintes techniques et de vérifications. Pour les contraintes techniques ce pourrait être pour commencer un métrage minimal de suspentes de 40 fois l’allongement à plat ou 25 fois l’envergure (ce qui serait valable pour toutes les tailles). Ainsi que des mesures comportementales, ce qui est le point dur, créer des tests EN-E reproductibles dans lesquels le pilote n’est pas un simple sac de viande. Il se dit qu’il n’est pas possible de provoquer les fermetures sur les 2 lignes, et bien elles ne seront pas certifiées tant que cela ne sera pas rendu possible. Bien sûr le pilotage doit être actif sur ce genre de voile, et peut-être que les tests en vols devront être réalisés par 3 ou 5 pilotes d’essai différents afin de valider la reproductibilité des résultats. La contrainte de réception de son matériel par un pilote 30 jours avant un championnat FAI doit être étendue. Car 30 jours ne sont pas assez et doivent également tenir compte des saisons dans les deux hémisphères. Personnellement je me sens bien sous une voile après 30 à 50 heures, je vole 150 heures par an, passons le délai à 90 jours. Dans leur première année de commercialisation ces voiles ne seraient accessibles qu’au top 200 du WPRS, puis au top 500 l’année suivante.
Voila, c’était long, j’ai encore 1000 trucs à dire, le chemin à suivre n’est pas évident mais nous savons qu’il sera long. Dans l’immédiat je vais partager un moment de convivialité avec mes camarades Vosgiens. Aujourd’hui a peut-être été notre dernière manche sous nos voiles de course, allons fêter cela!
Merci Maxime
C’est le premier article de fond sur ce sujet, appuyé d’expérience et de reflexion que je peux enfin lire.
concernant les 2 pilotes dcd
Arrive tu à analyser ce qui c’est passé.Escque c’est une conjonction exceptionnelle ou cela devenait Quasi inévitable….(conjonction vitesse type d’épreuve voiles exigent condition acceptées sous la pression etc…
Et sur le plan du ressenti as tu le sentiment que c’est quelque chose que l’on aurai pu …et que l’on pourra éviter?
il me semble aussi, qu’il a existe plusieurs cas de NH, la FAI a statué sur des voiles "compet" qui devaient bientôt bénéficier d’un type d’homologation a définir, il y a eu mélange entre des voiles type "END" XS, "END" avec trims, qui ne sont pas homologuées par leur fabricant pour cause économique et les "ENX" dites compet, je trouve cela étonnant ! je récupère donc les dégâts collatéraux.
En cas de crise, un usage moderne est de créer un "comité de sages" chargé de donner un avis consultatif sur les causes et remèdes à adopter. Avec toi, y-a-t-il d’autres sages dans le monde du parapente ?
J’attendais ton billet avec impatience : je n’ai pas été déçu 😉
Merci Max, très bon écrit, comme d’habitude, si un poste de chroniqueur était à pourvoir, tu ferais un excellent candidat
Il y a bien au moins un autre sage en la personne de Gregory Knudson, dont le courrier à la FAI résume à mon sens la meilleure des positions…
Comme c’est intéressant de voir à quel point nous gagnerions à nous inscrire dans la droite ligne du planeur !!
Bons vols et all the best pour la suite des compets Max
En réponse à jMarc qui "adore" l’anecdote du pilote Luxembourgeois:
J’étais le seul pilote du team luxembourg en R11 et avec un gps Compass, je suis arrivé au goal d’Avila sans voir ma voile disparaître, je n’ai pas parler à Luc. Moi aussi "je rêve".
L’autre pilote du team en R11 est Greg Knudson qui n’a également eu aucun incident lors de cette manche. Le 3ème pilote volait en UP Edge XR, et a subit une grosse fermeture à l’arrivée étant accéléré (trims au neutre).
Fais attention jMarc à ne pas diffuser des anecdotes fausses ou déformées, afin de prouver que c’était un problème de sélection et de niveau de pilote.
Je connaissais Eitel et Tato. Je suis très peiné par leur disparition et je peux dire que c’étaient d’excellents pilotes de compétition, avec beaucoup d’expérience même s’ils se déplaçaient peu en dehors de leur pays. Ils avaient d’ailleurs participé à la PWC il y a une dizaine d’année.
Lors de l’accident du dernier mondial FAI, le problème n’était pas non plus le niveau du pilote, à priori.
Très bonne intervention de Maxime et Gregory.
Pourvu que nous n’ayons pas d’accident grave lors de la prochaine PWC en Turquie.
Vive le vol libre et nos merveilleux engins de liberté!
Mathieu
Salut Maxime,
je suis perplexe quant aux discutions des uns et des autres lorsque l’on sait que les constructeurs ne sont pas appelés par la fédé pour parlementer.
Je pense que nous nous battons contre une instance qui ne pense et ne jure que par protectionnisme dans une réflexion avec ses avocats et son assureur.
Il serait temps d’être offensif sur le même terrain que notre chère fédé si nous voulons continuer à voler avec nos ailes.
alors voilà les questions que je pose:
Sur quels fondements une fédération pourrait interdire les ailes compétition non
homologuées EN en compétition et sur quels fondements, tout à coup, l’assureur
de cette fédération n’assurerait plus les pilotes volant sous ces ailes ?
Quelle serait la responsabilité d’une fédération qui interdirait les ailes
compétition non homologuées EN et qui verrait son assureur le suivre, impliquant la non assurance des pilotes volant sous ces ailes ?
Quelles serait la responsabilité de la fédération si un collectif de pilotes
déposait une plainte contre cette fédération qui a laissé des pilotes acheter
des ailes à 2500€ jetables et en interdisant quelques semaines plus tard l’utilisation en compétition ?
La question se pose ensuite si l’assureur en question décide de ne plus assurer les pilotes concernés, rendant ces ailes inutilisables également hors compétition.
Imaginez ce collectif demandant à la fédération de prendre ses responsabilités
en demandant la prise en charge financière de leurs aile !!!
Je vais très loin, au risque de paraitre procédurier, mais tout cela n’est que
supposition, et que cela serve de combat à notre juste cause.
Je pense que la fédé se protègera avant tout et qui dit protection dit discourt d’avocat et d’assureur.
Que cet engrenage puisse être gangrené et retombe aux vraie causes de ces
accidents qui ont fait réagir toutes les instances en chaine sur un faux
problème complètement déplacé.
Je ne suis pas très influent au sein des pilotes de haut niveau, j’aurais aimé avoir ton sentiment Maxime sur la possibilité d’une action et de démarches au seins des pilotes et des constructeurs pour ouvrir un débat constructif avec nos instances, chose qui, je crois savoir, se fait au téléphone, et pas encore autour d’une table.
amicalement,
Seb.