Sociologie de l’engagement corporel

Le sous-titre de ce livre est peut-être plus clair: « risques sportifs et pratiques extrêmes dans la société contemporaine » par Bastien Soulé et Jean Corneloup. J’ai fait l’acquisition de cet ouvrage paru en 2007 pour son 3ème chapitre que j’ai lu en premier: « prise en charge collective et acceptabilité sociale des risques sportifs ». L’ensemble est agrémenté de très nombreuses références à des résultats de recherche d’études sociologiques.

Sociologie de l'engagement corporel

Gestion des risques

Les auteurs décrivent comment des politiques publiques tentent de faire face aux impondérables. Ils font une large place aux différences de points de vue selon les acteurs sur le même sujet de la sécurité. Ils démontrent que l’interprétation d’une menace diffère selon position, valeurs et intérêts individuels. Les auteurs suggèrent de ne plus parler de sécurité (soit une absence de danger) mais bien de gestion des risques et je suis sensible à cette nuance. Et de se poser alors trois questions:

  • Quels évènements néfastes peuvent se produire?
  • Quelles sont les mesures de prévention et de secours?
  • Qui peut tirer des intérêts dérivés sous couvert de l’argument de sécurité?

Pour comprendre les racines des réponses apportées à ces questions par le système des acteurs, les auteurs proposent le modèle cindynique (sciences du risque) avec 5 dimensions à analyser:

  • Objectifs et intérêts
  • Faits et statistiques
  • Connaissances et modèles
  • Règles, normes et lois
  • Valeurs

Ainsi il est possible de construire la carte sociale des acteurs et de détecter les biais dans le fonctionnement des systèmes gestionnaires et/ou producteurs de risques. À ce titre les trois exemples suivants illustrent des réponses possibles aux questions posées ci-dessus.

FFV et planche à voile – question 1

Favorisant l’hédonisme et l’indépendance, l’apparition de la planche à voile (dans les années 70) a clairement remis en cause l’hégémonie de la Fédération Française de Voile. … Le thème de la sécurité a été exploité par la FFV pour contrarier le déroulement de certaines épreuves organisées sans son aval. … La FFV a alors utilisé le levier technique pour contraindre les fabricants à s’assurer de la fiabilité et de la sûreté de leur matériel. On est cependant loin d’un consensus sur l’efficacité et la pertinence de cette réglementation technique. … En se préoccupant de la sorte des risques, sans réelle expertise reconnue ni impact sécuritaire majeur, la FFV a saisi une opportunité de renforcer son rôle dans l’organisation de la planche à voile en France.

Secours en montagne – question 2

La logique d’action juridico-normative pousse les acteurs à se couvrir dans l’éventualité d’avoir des justifications à fournir en cas d’accident. … Les intervenants se contentent de l’information préventive puisque sa seule présence garantit l’absence de mise en cause judiciaire.

Stations de ski – question 3

Dans le cas du ski alpin, cette mobilisation du risque à des fins annexes s’accompagne d’une amplification ciblée de certains dangers. … Il est possible d’en conclure que les problèmes à résoudre sont parfois taillés de manière à les faire entrer dans les tiroirs de solutions existantes ou projetées. Du coup, les dangers que l’analyste espère a priori décrire de manière objective s’avèrent être l’objet de jugements relatifs et de discussions intéressées qu’il convient de contextualiser pour leur donner tout leur sens.

Concertation

En prenant l’exemple du débat sur les secours payants en montagne les auteurs montrent la nécessité de la concertation pour une bonne gestion des risques: dans un premier temps le débat a été pris en otage par les cercles d’experts, pour être ensuite accaparé par les politiques, et seulement en dernier recours faire l’objet d’une concertation suite aux multiples levées de boucliers.

La concertation comporte plusieurs dimensions: technique, réglementaire, économique, sociale et politique. Elle peut également s’entourer de l’avis de pratiquants, juristes, assureurs, fabricants, sécurité sociale… Car il convient de ne pas laisser une seule voix parler, de ne pas laisser croire qu’une dimension unique permet d’optimiser la gestion des risques. Il est nécessaire de confronter les points de vue. Ainsi il faut ouvrir le débat (ne pas rester en cercle fermé) pour parvenir à un seuil acceptable de risque résiduel et tendre vers le danger minimum.

La concertation est parfois difficile. Parfois aussi elle n’est qu’un paravent. Pour être efficace elle doit s’appuyer sur une procédure de prise de décision. Car il y aura toujours des divergences d’opinion, une absence d’avis homogène, des oppositions entre groupes sociaux. Comme il n’existe pas d’ordre supérieur supposé gouverner aux décisions, à tout moment il faut guetter l’apparition d’une irrationalité des choix. Les choix engagent une vision du monde et des risques. En montagne, les valeurs d’engagement, de responsabilité et de liberté sont prépondérantes et ont guidé vers une solution acceptée par tous.

Et maintenant

Toute société repose sur une tension entre mesure et démesure. Toute gestion des risques repose sur un jugement de valeur qui lui-même dépend du moment d’observation. La gestion des risques est donc un équilibre subtil, instable. Il existe dans les exemples donnés de nombreux parallèles possibles avec la situation du parapente aujourd’hui.

Il me reste les 2 premiers chapitres à lire, « sports à risque, sports extrêmes, de quoi parle-t-on? » et « la pratique des sports à risques: approches sociologiques plurielles d’un engagement corporel singulier ». Ou peut-être vais-je enchainer sur ma prochaine lecture: « Cindynique sportive ». Ou encore essayer de procéder aux analyses des 3 questions de base et d’appliquer le modèle cindynique à notre milieu. Bref, il y a du boulot.

2 réflexions sur « Sociologie de l’engagement corporel »

  1. Salut,
    Je vois que tu as trouvé de quoi t’occuper pendant l’automne…
    En ce qui concerne le risque en montagne, un guide et chercheur suisse a publié un bouquin qui propose une méthode de gestion du risque d’avalanche. Cette méthode fait son chemin dans le milieu professionnel mais gagne à être connu par le grand public. Il évoque aussi les considérations sociales sur la pratique du ski et de l’alpinisme.
    Je pense qu’il y aurait des parallèles possibles avec le parapente et les problèmes liés à l’environnement dans lequel nous évoluons.
    Il y a un résumé ici : http://www.secours-montagne.fr/IMG/

    Bon courage

    Etienne

  2. Salut Max,
    C’est toujours un énorme plaisir de lire tes billets 🙂
    J’adore la voie que tu es en train d’emprunter!
    S’instruire, avoir des réactions commentées, argumentées, construites, … c’est une démarche qui me plait énormément !
    A bientôt j’espère 😉

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